Tout a commencé quelques jours avant mon dernier anniversaire.

Tout concourait depuis quelques temps au bilan un peu douloureux :
- fin de la 4ème année d'expatriation coïncidant avec un nouveau changement de direction et donc de politique, et en sous-entendus-bruits-de-couloir-téléphone-arabe une mise au placard de tout le boulot entamé depuis deux ans.
- un chéri lointain avec qui les projets d'avenir commun, longtemps attendus et mûrement réfléchis, étaient remisés à une date ultérieure et non définie.
- dix ans d'enseignement à tous les niveaux et dans toutes les structures pour me voir refuser d'autres postes à l'étranger car le concours passé il y à 10 ans ne me permettait pas d'entrer dans la bonne petite case.
- un 35ème anniversaire marquant le basculement vers la quarantaine (on ne se refait pas...)

Le crash a été dur, un peu comme la secousse principale d'un tremblement de terre, suivie de petites répliques plus ou moins fortes. Un besoin irrépressible de vraiment arrêter le temps, qu'on me laisse faire ma vie à mon rythme, enfin !

Seule solution, un peu comme les enfants qui se bouchent les yeux en pensant être alors invisibles, j'ai consciencieusement zappé cet anniversaire redouté. A part la famille proche, pas un coup de fil, pas un mot, pas une allusion.

Mais Peter Pan avait quand même du plomb dans l'aile et du mal à voler...

Peter Pan a sa Fée Clochette, Pinocchio - encore un autre pour qui grandir a été douloureux - son Jiminy Criquet...

Moi, je me déplace avec mon Saint Drome.

Saint dévoyé s'il en est. Son rôle est de me booster l'adulte quand je me laisse mener par mon syndrome et de me chatouiller l'enfant quand je fais une crise de vieille conne. En un mot, de m'aider à trouver un équilibre entre qui je suis vraiment et qui je censée être, dans le but ultime - et lointain, je trouve - de me faire une place dans la ronde.

Autant dire que l'ambition n'est pas mince.

Exemple :
Toute entière dévouée à la tâche passionnante qu'est le remplissage de fiches d'élèves (cause de mon dernier atterrissage brutal), m'appliquant à bien écrire comme on me l'a ordonné cavalièrement demandé, je m'aperçois soudain que je suis en train d'en remplir une à mon nom. Si ça n'est pas un refus de grandir, ça... Et l'envie d'y glisser une fausse fiche, avec de fausses informations, juste pour mettre la pagaille, germe alors dans mon esprit... C'est le Drome qui pointe du doigt l'inanité complète de mon travail, l'absurdité de la consigne et l'ennui ambiant.
Mais j'atterris : 20 ans de plus que les élèves, une chef handicapée de l'humour et des collègues pas très rigolards... je ferais bien de ne pas pousser mon idée plus loin. C'est le Drome à nouveau qui me susurre à l'oreille.

Vous l'avez compris, non seulement j'ai un syndrome, mais en plus je suis en passe de développer une double personnalité...

Il paraît que le syndrome de Peter Pan est typiquement masculin. Refus de grandir, de s'engager, de poser ses valises.
De même que les hommes seraient de nature nomade et les femmes de nature sédentaire...
Je dois être l'exemple qui confirme la règle ! Disons que je suis une Petra Pan...

Syndrome :
Nom masculin
Ensemble des symptômes d'une maladie

Maladie... le mot est lâché.
Maladie de jeunesse, difficulté à grandir, voire incapacité à me convaincre que j'ai 35 ans, donc que je suis adulte. Et même vieille, me suis-je dit soudain cet après-midi en remplissant des fiches d'élèves. Le calcul, rapide et douloureux, a été sans appel. Nés en 1992, ils ont donc 20 ans de moins que moi... ou plutôt j'ai 20 ans de plus qu'eux ! Enfer et damnation !

Le hic, c'est que j'ai tendance à oublier que je suis vieille très vite... et du coup les atterrissages brutaux sont récurrents.

Le problème ne réside d'ailleurs pas dans mon âge per se, mais dans ce que le temps et les autres en font.

Les autres.
Car être célibataire à l'âge avancé de 35 ans n'est pour moi ni une marque de fierté, de lutte pour mon indépendance, ni un déshonneur. C'est comme ça, et je m'en porte généralement très bien, jusqu'à l'un ces dîners incontournables où seuls des couples sont réunis. Impossible de parler agréablement avec un homme sans risquer de paraître suspecte, et ce sentiment de venir de l'espace quand tout le monde s'assied et qu'on est la XX impaire de trop...
Et puis une bouffe avec des amis, une rencontre imprévue, et j'oublie.
Les autres c'est également l'administration. Peut-on m'expliquer pourquoi, puisque je suis célibataire sans enfant, je devrais récupérer des postes merdiques parce que je passe après les autres ? Autre remise en question donc : âge avancé et célibat feraient donc de moi quelqu'un de moindre valeur...
Remise en question vit oubliée également.

Le temps.
Injuste. Pourquoi cette date de péremption imposée aux nanas ?
Entendu le lendemain de mon anniversaire : "Ah bon !?!? Tu aimerais avoir des enfants, toi ?!?! Ben faudrait peut-être t'y mettre !" Et oui, c'est pas faux, comme il est vrai que je me sens bien comme je suis. Je me verrais bien continuer encore un peu comme ça.
Et d'ailleurs, à moins d'un imprévu très inattendu, c'est bien ce que je fais : continuer comme ça.

Me voila donc prise entre mon incapacité à poser mes valises et grandir (quelque soit le sens de ce mot, on verra plus tard) et tous ces courts atterrissages brutaux, signes qu'apparemment, je suis quand même un peu à côté de la plaque (paraît-il).